BITCOIN: NI POUR, NI CONTRE, BIEN AU CONTRAIRE! 3ème Partie

Mathieu Vaissié, PhD, CAIA
19 min readFeb 2, 2021

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Bitcoin a été conçu par Satoshi Nakamoto comme un système de paiement de pair-à-pair (cf., le White Paper: “Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System”). Il est vendu par certains comme une réserve de valeur. Et beaucoup l’achètent comme un “momentum trade”. Pas simple pour qui cherche à comprendre ce qu’est vraiment bitcoin, et le rôle qu’il peut jouer dans un portefeuille diversifié. A ce titre, nous avons conclu la 2ème partie de cet article sur l’idée que bitcoin devrait être considéré comme une option digitale, qui délivrera un rendement exceptionnel sur le long-terme si son protocole de preuve cryptographique résiste à l’épreuve du temps ET si notre système monétaire et financier tombe de Charybde en Scylla; mais qui vaudra 0 (en tout cas beaucoup moins qu’aujourd’hui), si non. Est-il raisonnable pour un Investisseur institutionnel d’investir dans un actif présentant ce type de “pay-off” ?

La 1ère façon de répondre à cette question est de dire qu’ils le font déjà au travers de leurs investissements dans des fonds de Venture Capital (VC), et dans une certaine mesure dans des fonds de Private Equity (PE), qui représentent une part de plus en plus significative de leurs portefeuilles. Certes, ils le font de façon indirecte; mais le simple fait qu’ils investissent dans ce type de véhicules, montrent qu’ils acceptent l’idée qu’une pépite puisse compenser les pertes réalisées par toutes les autres positions du portefeuille. bitcoin est-il vraiment l’une de ces pépites?

“L’IGNORANT AFFIRME, LE SAVANT DOUTE, LE SAGE REFLECHIT” ARISTOTE

La 1ère partie de cet article nous a permis de faire la lumière sur les propriétés rendement/risque (historiques) hors-normes du bitcoin. La 2ème partie de cet article, nous a permis de nous faire une idée de la façon dont la balance bénéfice/risque est susceptible d’évoluer, si d’aventure les Investisseurs, en particulier institutionnels, confirment leur intérêt pour cet OVNI. Reste à faire le grand saut: prendre une décision. Faut-il investir: OUI ou NON?

Le psychologue G. Klein, père du courant “Naturaliste”, et grand spécialiste de la prise de décision dans des environnements risqués, emprunts d’ambiguïté et d’incertitude, a proposé un outil susceptible d’aider les Investisseurs institutionnels dans cette entreprise. Il s’agit de l’analyse pré-mortem.

L’idée du pré-mortem est simple: imaginer que le plan ne s’est pas déroulé sans accrocs, AVANT de se lancer à corps perdu dans l’aventure et de devoir composer avec le fameux biais de l’escalade de l’engagement. Attention! L’objectif n’est pas de dissuader la prise de risque(s), mais au contraire, de permettre à chacun de reprendre le contrôle sur sa gestion des risques.

Le mode opératoire est le suivant: 1/ se projeter, selon son horizon d’investissement, à 1/3/5/7/10/30 ans, de façon à prendre une certaine distance avec sa situation présente et donc à gommer l’effet de certains biais cognitifs comme celui de l’aversion à l’incertitude, à l’ambiguïté ou aux pertes, 2/ partir du principe que le bitcoin n’a pas rencontré le succès escompté, 3/ lister avec le plus de candeur possible les raisons de cet échec, 4/ identifier les actions à entreprendre aujourd’hui, s’il y en a, pour faire en sorte que les raisons identifiées au point 3 n’arrivent pas ou a minima pour que l’on puisse en réduire l’impact, et 5/ agir en conséquence.

Voici, pour nourrir le débat, une liste non-exhaustive des risques auxquels le bitcoin pourrait devoir faire face dans un avenir plus ou moins lointain.

#1. Risque technologique :

Il s’agit probablement du principal risque à long-terme.

Ceci étant dit, il est important de garder à l’esprit le fait que ce risque est inhérent à toutes les nouvelles technologies. Bitcoin est une nouvelle technologie de la valeur, qui repose sur une technologie relativement récente, celle des registres distribués (i.e., la blockchain). Bitcoin n’échappe donc pas à la règle.

Bitcoin propose une solution élégante, qui repose sur la preuve cryptographique, pour transformer radicalement la notion de confiance. Plus besoin de tiers de confiance. Pour reprendre la célèbre phrase de L. Lessig: “Code is law”. Mais toute personne ayant fait un tant soit peu de code sait qu’il n’y a pas de code sans bug(s), ou du moins sans faille(s). Plus le temps passe, et plus le risque diminue, mais si une faille devait être trouvée dans le protocole bitcoin, l’impact, au moins à court-terme, et probablement aussi à plus long-terme, serait terrible. La réaction du marché à l’annonce faite récemment, à tort, par BitMEX, au sujet d’une possible double dépense sur le réseau bitcoin, montre à quel point le sujet est sensible. En effet l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. Le protocole du bitcoin utilise la fonction de hachage sha-256 (pour Secure Hash Algorithm), conçue par la National Security Agency (NSA) en 2002, qui permet de transformer un block de données en une clé de 64 caractères (dans un système hexadécimal). En l’état actuel de nos connaissances mathématiques, nous ne savons pas résoudre le problème, ce qui fait que nous devons avoir recours à la “force brute” pour apporter la preuve de travail (ce qui explique le niveau hallucinant du taux de hash total, qui est à l’heure actuelle de l’ordre de 150 millions de terahashs par seconde selon Blockchain.com). Rien ne dit que nous ne trouverons pas un jour une façon de résoudre directement le problème. Rien ne dit, non plus, qu’avec les progrès technologiques, les ordinateurs quantiques par exemple (mais pas que), la sécurité de la preuve cryptographique ne soit compromise dans le futur. Enfin, compte tenu de l’origine de l’algorithme de sécurisation, et sans verser dans le “complotisme”, il est légitime de s’interroger sur la possibilité d’une éventuelle “back door”. Le risque d’une faille plane sur bitcoin telle l’épée de Damoclès. Il est loin d’être négligeable à moyen-/long-terme.

Un autre risque lié au protocole bitcoin tient à la façon dont est construit le consensus lors du processus de validation des blocks (i.e., la majorité des nœuds l’emporte). Sachant que les 5 premiers pools de minage représentent plus de 60% de la puissance de calcul, et donc des votes, et que ces pools sont pour l’essentiel chinois, le risque qu’ils puissent un jour se coordonner et opérer une “attaque 51%” pour corrompre la chaîne de blocks, n’est pas nul. Au vue des développements récents, on peut imaginer que les Etats Unis constitueront prochainement un autre pôle important pour ce qui est du minage de bitcoin. Ce manque de décentralisation fait peser un risque non négligeable sur le réseau bitcoin à moyen-/long-terme.

A l’instar de l’or, cette relique barbare, comme l’appelait J.M. Keynes, la force de bitcoin, par rapport aux autres crypto-monnaies, tient à sa simplicité, à son inaltérabilité. Mais sa stabilité peut aussi devenir une faiblesse. Le fait que l’on puisse faire une petite dizaine de transactions par secondes quand les systèmes déjà en place peuvent en réaliser plusieurs milliers, montre bien qu’il y a un problème de passage à l’échelle (i.e., “scalabilité” en bon français). Or, la dernière tentative pour faire évoluer le protocole en ce sens, qui consistait à faire passer la taille des blocks de 1Mo (ce qui représente environ 2500 transactions) à 8 Mo, mais qui soulevait des questions quant à la (dé)centralisation du réseau, s’est soldée, dans les larmes et le sang, avec la scission (on parle de “fork”) de la chaîne Bitcoin, et la création de la chaîne Bitcoin Cash. Un nouveau “fork” occasionnerait de toute évidence une perte de valeur importante pour bitcoin (en particulier aux yeux des Investisseurs institutionnels fraîchement “convertis” qui viennent chercher de la sécurité ET de la rareté). Par ailleurs, il est légitime de se poser la question, au moment où l’on s’interroge sur la notion de “sobriété numérique”, de la pérennité d’une solution qui consiste à maintenir l’intégralité des transactions réalisées sur le réseau depuis sa création, sur des milliers voire des dizaines de milliers de serveurs. Il y a probablement une façon plus efficiente de régler la question du “point de défaillance unique”. Cette résistance au changement est un autre risque avec lequel il faudra composer sur le long-terme.

Une alternative pour régler le problème de capacité du réseau Bitcoin, sans modifier le protocole, consiste à lui adjoindre une seconde couche. L’une des principales initiatives en ce sens est le Lightning Network, dont le succès reste encore confidentiel, mais qui pourrait bien trouver son public avec l’élargissement de la base d’Investisseurs à laquelle nous avons fait référence dans la 2ème partie de cet article. Cela est d’autant plus vrai qu’avec le lancement prochain de la plateforme RGB, basée sur le Lightning Network (on peut donc parler de 3ème couche), les “contrats intelligents”, ces fameux “smart contracts” qui font le succès de la 2ème crypto-monnaie la plus importante de par sa capitalisation, ethereum, vont vraisemblablement faire leur apparition sur le réseau Bitcoin. Pour le meilleur et pour le pire. Le développement d’une seconde couche, sur laquelle seraient réalisées quantité de petites transactions, au travers d’une kyrielle de canaux de paiements, et la perspective de voire des DAO envahir l’espace bitcoin, posent un certain nombre de questions, notamment de sécurité, du fait de l’ouverture sur un réseau externe, mais aussi de régulation du trafic sur la 1ère couche, les petites rivières faisant les grands fleuves. Le risque est néanmoins limité à court- et moyen-terme. En revanche cela pourrait créer une certaine fragilité pour le plus long-terme.

#2. Risque règlementaire

Il s’agit probablement du principal risque à moyen-terme.

Cela entrainera sans doute la capitulation de certains investisseurs historiques, faisant ainsi plonger le prix du bitcoin. Mais cela ouvrira également la voie aux Investisseurs institutionnels, faisant rebondir violemment le prix du bitcoin. Et entre les deux: une très belle opportunité d’investissement, pour qui souhaite s’y exposer.

Tant que les crypto-monnaies évoluaient dans l’ombre, qu’elles s’adressaient à un public réduit, plutôt en marge du système, et que les montants en jeu restaient relativement confidentiels, la question de la régulation ne se posait pas. Au contraire, l’univers des crypto-monnaies offrait alors un terrain d’expérimentation absolument extraordinaire, et donc un laboratoire d’observation fabuleux pour les pouvoirs centralisés. La croissance du secteur, le développement de projets susceptibles de remettre en cause certains grands équilibres dans le système, l’intérêt croissant du grand public, et surtout les velléités de certains acteurs déjà très puissants à battre monnaie, comme Facebook avec LIBRA (le projet a été rebaptisé Diem entre temps et force est de constater qu’il a dû être édulcoré), ont sonné la fin de la récréation. Toutes les banques centrales, ou presque, disent ouvertement étudier la mise en place d’une monnaie numérique aujourd’hui (i.e., les “CBDC” pour “Central Bank Digital Currencies”). La Chine est d’ailleurs déjà passée en phase d’expérimentation dans plusieurs régions. Nul doute que toutes les banques centrales et autres régulateurs avancent sur le sujet de la réglementation à grand pas. La question n’est donc plus de savoir SI, mais QUAND et COMMENT, bitcoin et les autres crypto-monnaies vont être réglementés.

Le premier risque est l’interdiction pure et simple du bitcoin (ou du moins de sa détention). Les défenseurs de la cause arguent généralement du fait que le réseau Bitcoin est complètement distribué (ce qui, comme nous l’avons déjà vu, est discutable, mais admettons), et que bitcoin est par conséquent incensurable. L’Histoire nous invite cependant à garder une certaine prudence à ce sujet. Nombreux sont en effet les gouvernants, de Crésus, le Roi de Lydie, à F. Roosevelt, le président des Etats Unis d’Amérique, en passant par Kubilai Kahn, l’Empereur Mongol, à avoir interdit des monnaies concurrentes, forts conscients du fait que le contrôle de la monnaie offre un pouvoir important, et que la “bonne” monnaie finit toujours par chasse la “mauvaise”. Pour mémoire, avec la signature du Gold Reserve Act en 1934, les transactions en or étaient devenues interdites aux Etats Unis, et les particuliers n’ayant pas remis l’or qu’ils possédaient aux Autorités étaient passibles d’une peine de prison de 10 ans. Plutôt dissuasif, surtout lorsque l’on sait que le réseau Bitcoin offre une grande transparence, et que le pseudonymat offre un anonymat somme toute relatif, surtout depuis que la plupart des bourses d’échange ont renforcé leurs procédures de KYC (pour “Know Your Customer”). D’ailleurs, la crypto-sphère a tremblé lorsque le Secrétaire d’Etat au Trésor Américain, S. Mnuchin, a évoqué la possibilité d’une réglementation qui obligerait les bourses d’échange à ne pouvoir réaliser des transferts que vers les adresses pour lesquels elles ont recueilli des informations d’identification, y compris lorsqu’il s’agit de portefeuille “auto-hébergés” (i.e., en “self custody”). Prudence donc. Il s’agit d’un risque certes peu probable, mais qui pourrait devenir réalité si les conditions qui permettraient au prix du bitcoin d’atteindre la lune (i.e., un délitement de notre système) se mettaient en place. Une autre forme d’interdiction pourrait déstabiliser le réseau Bitcoin : celle du minage. Il s’agit d’un marronnier, la Chine faisant régulièrement planer la menace. Le mécanisme d’ajustement de la difficulté du réseau permettrait de rétablir un certain équilibre au plus tard après 2016 blocks, mais cela provoquerait vraisemblablement un mouvement de panique à court-terme. Le risque semble limité à court-terme, mais il devra être réévalué lorsque la Chine déploiera son YUAN numérique notamment.

Autre risque, plus probable qu’une interdiction, et plus problématique que les KYC : la réglementation pour lutter contre le blanchiment d’argent sale (i.e., “AML” pour “Anti Money Laundering”). Rien à voir avec les déclarations de notre Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, B. Le Maire, un peu hors sujet, surtout lorsque l’on sait que toutes les transactions sur le réseau Bitcoin sont connues de tous. Le réseau Bitcoin est au contraire une arme redoutable pour qui veut contrôler les flux. Des entreprises comme Chainanalysis ou CipherTrace se sont d’ailleurs spécialisées dans le traçage des transactions. Le problème est plutôt celui de la fongibilité des Bitcoins. A partir du moment où il est techniquement possible de connaître tout l’historique d’un bitcoin, depuis sa création, il devient possible de faire la distinction entre ceux qui ont transité à un moment ou à un autre par le Dark Net ou par une adresse figurant sur une quelconque liste d’interdiction, ceux qui sont passés par des services de mixages (dont l’objectif est justement de brouiller les pistes), et ceux qui sont complètement “propres”. Apparaît ainsi le risque de voir ses bitcoins (ou plutôt des fragments de ses bitcoins, on parle de UTXO pour “Unspent Transation Output”) bloqués sans préavis à l’occasion d’un transfert ou d’un paiement, parce qu’ils auraient transité dans le passé par la mauvaise adresse. Ce risque est probablement plus élevé que ce qui est évoqué aujourd’hui. Il existe bien des services qui permettent de tromper de façon légale les heuristiques mises en œuvres par les Chainanalysis de ce monde, mais il est probable que la marge de manœuvre tende à se réduire avec le temps. Tous les bitcoins n’auraient alors plus la même valeur, ce qui introduirait un doute qui ne ferait pas bon ménage avec la notion de confiance qui sous-tend la valeur des bitcoins. Pour mémoire, c’est le même type de doute qui, suite à la chute de Lehman Brothers en 2008, avait conduit les différents agents économiques à ne plus se faire confiance les uns les autres, et le système à se gripper. Il s’agit de l’une des rares faiblesses “objectives” du bitcoin par rapport à l’or. Le risque est non négligeable à moyen-/long-terme.

#3. Risque de marché

Il s’agit d’un risque non négligeable à court-terme.

Signe des temps, le bitcoin tire une grande partie de sa crédibilité actuelle de son prix, très élevé selon les standards historiques. Puisque les hausses/baisses du prix du bitcoin semblent jouer le rôle de prophéties auto-réalisatrices, il y a de bonnes raisons de penser que le chemin que va suivre le prix du bitcoin à court-/moyen-terme aura un impact non négligeable sur son sort à plus long-terme. A ce titre, le passage (très) rapide du précédent “ATH” des 20 000 USD à plus de 40 000 USD, crée une certaine fragilité d’ordre technique à court-terme. Les principales résistances importantes se trouvent désormais bien loin du prix actuel (22 500 / 16 500 USD pour les moyennes mobiles à 100/200, 20 000 USD pour l’ancien ATH, environ 15 000 USD pour le coût de production moyen estimé d’un bitcoin selon TradeBlock, et autour de 11 500 USD pour le signal de “break out” qui a déclenché le “Bull run” actuel). Difficile d’imaginer un Investisseur institutionnel rentrer dans une telle position sans un ratio risque-récompense d’au moins 1:5, ce qui, compte tenu du prix actuel du bitcoin, impliquerait un prix cible entre 80 000 et 150 000 USD selon le point bas considéré. Les Investisseurs institutionnels prêts à faire un tel pari aujourd’hui ne sont peut-être pas aussi nombreux que le prix actuel du bitcoin peut le laisser penser. Le risque d’avoir un choc de demande moins important qu’anticipé est non négligeable à court-terme, mais ses conséquences sur le prix seraient vraisemblablement limitées dans le temps et dans l’espace. Le scénario idéal à court-terme pour maximiser la probabilité d’un succès sur le long-terme, serait probablement une consolidation baissière du prix du bitcoin sur les prochains mois, en marches d’escalier, a minima jusqu’au précédent ATH, pour permettre à de nouveaux Investisseurs, en particulier institutionnels, de rentrer dans le marché, avant de repartir à la conquête des sommets.

Autre risque potentiel de choc (négatif) sur la demande, certes plus anecdotique, mais dont l’impact sur le marché, à court-terme au moins, serait probablement plus important : le portefeuille de Satoshi Nakamoto. On parle d’environ 1.1 million de bitcoins, soit un peu plus de 5% de tous les bitcoins minés depuis sa création. Trois explications possibles au fait qu’ils n’aient pas bougé depuis plus de 10 ans: 1/ Satoshi Nakamato a bel et bien disparu du jour au lendemain, et avec lui, ses clés privées, 2/ Satoshi Nakamoto attend un événement particulier pour vendre (un certain niveau de prix par exemple), ou 3/ ces bitcoins sont destinés à servir d’une manière ou d’une autre le réseau Bitcoin (pour financer les opérateurs des nœuds qui sécurisent le réseau, une fois que tous les bitcoins auront été minés par exemple). L’option 2 semble être la moins probable des 3, mais elle ne peut pas être exclue à ce stade. L’impact que cela aurait non seulement sur l’équilibre entre l’offre et la demande, mais aussi sur le mythe même du bitcoin et de sa genèse, serait très important sur le court-terme, peut-être même plus.

Enfin, une menace plus structurelle sur le moyen-terme vient des contrats intelligents; s’ils finissent par débarquer sur le réseau Bitcoin. En effet, les produits dérivés associés aux organisations décentralisées autonomes (DAO), qui ne manqueront pas de voir le jour avec l’arrivée des “smart contracts”, forment un cocktail détonant, qui a le potentiel de déclencher des dynamiques collectives de grande ampleur (cf., la 2ème partie de cet article). Il suffira alors que le sentiment de FOMO laisse la place à celui de FUD (pour “Fear Uncertainty and Doubt”), pour que le prix du bitcoin plonge, et qu’il éteigne, au moins pour un temps, les velléités des Investisseurs, en particulier institutionnels, à l’introduire dans leurs portefeuilles.

Le prix du bitcoin pourrait également être une victime collatérale si l’aventure Tether (USDT) devait tourner court. Il est toutefois probable que l’impact serait ponctuel, du moins pour bitcoin.

#4. Risque de carrière

Il s’agit probablement du principal risque à court-terme.

A. Einstein a décrit les intérêts composés comme la plus grande force de l’univers. S’il vivait encore aujourd’hui, il soulignerait probablement la puissance dévastatrice du risque de carrière. J.M. Keynes disait à ce titre que : “la sagesse universelle enseigne qu’il vaut mieux, pour sa réputation, échouer avec les conventions que réussir contre elles”. Or, la principale “narrative” qui porte le prix du bitcoin sur ce cycle de marché, est celle de l’arrivée (massive) des Investisseurs institutionnels; ce qui requiert de leur part un choix pour le moins non-conventionnel.

Notre système socio-économique étant de toute évidence à la fin d’un cycle, il ne fait aucun doute que pour gérer leur risque de carrière, beaucoup d’Investisseurs institutionnels préfèreront exploiter les positions déjà acquises, plutôt que d’explorer de nouvelles opportunités. Il s’agit en effet d’un choix tout à fait rationnel pour celui qui prend la décision (probablement moins pour l’institution qu’il représente, et surtout, pour les bénéficiaires finaux). Le bitcoin est une option digitale dont la maturité est supérieure à la fréquence moyenne à laquelle une personne change de poste en entreprise (moins de 5 ans). S’il décide de sortir des sentiers battus, et que le pari est payant, il ne pourra probablement pas récolter les lauriers de ce choix audacieux. Si en revanche le bitcoin connaît des heures difficiles, il sera celui qui aura pris un risque inconsidéré. Ses pairs, du moins ceux qui n’auront pas fait le même choix, sauront le lui faire payer. La principale force du bitcoin, son caractère unique, est donc également sa principale faiblesse à court-terme.

A noter qu’une confusion est souvent faite entre les investissements réalisés par les Investisseurs institutionnels pour compte propre (i.e., leur propre argent), ou pour compte de tiers (i.e., l’argent de leurs clients). En l’espèce, la plupart des annonces concernent en réalité des investissement réalisés par des investisseurs particuliers, au travers d’institutions. Il ne s’agit donc pas vraiment encore d’argent institutionnel à proprement parler. Les cas de MicroStrategy ou de Square, restent des exceptions. A titre d’exemple, MassMutual, dont on a beaucoup entendu parler, a investi 0.04% seulement de son actif général dans bitcoin; par ailleurs, le fait qu’ils aient pris en parallèle une participation au capital de la société de gestion spécialisée au travers de laquelle ils se sont exposés au bitcoin (i.e., NYDIG), suggère que le pari ne porte peut-être pas directement sur le bitcoin.

La “narrative” du FOMO institutionnel semble donc être plus fragile que ce que suggère la doxa.

#5. Risque opérationnel

Il s’agit d’un autre risque important au moins à court-/moyen-terme.

Autre raison pour laquelle les Investisseurs institutionnels pourraient ne pas être au rendez-vous: le risque opérationnel. Les Investisseurs institutionnels ont en effet une responsabilité fiduciaire vis-à-vis de leurs clients. Avant de faire fructifier leur argent, ils se doivent d’assurer la conservation de leurs avoirs; de veiller à ce que leurs fonds soient bien gardés. Des tiers de confiance remplissent ce rôle dans le monde traditionnel. L’essence même de bitcoin est de substituer la preuve cryptographique à ces tiers de confiance. La propriété est à celui qui détient la clé privée associée à la clé publique (i.e., c’est le fameux “Not your key, not your bitcoin”). Les Investisseurs doivent donc être prêts à prendre leurs responsabilités (sans disposer de l’infrastructure nécessaire). Cela fait partie intégrante de l’expérience bitcoin. C’est un changement complet de paradigme pour qui a l’habitude d’opérer dans le monde traditionnel. Si la clé privée est perdue, les bitcoins le sont également! Selon Chainanalysis, près de 20% de tous les bitcoins minés à ce jour pourraient être perdus ?! Le 1er principe de la thermodynamique ne semble donc pas s’appliquer à Bitcoin. Il semble inconcevable qu’un tel trou dans la raquette ne finisse pas par faire l’objet d’une résolution. Des services de conservation apparaissent ci et là, permettant de réduire ce risque; certains assureurs commencent même à proposer des couvertures. Mais les risques sont tels que les coûts de ces services peuvent être élevés; prohibitifs même.

De la même manière, il suffit d’avoir déjà fait de l’opérationnel, pour savoir que les erreurs d’exécution sont monnaie courantes. Et ce qui est relativement facile à gérer dans le monde traditionnel, lorsque l’on interagit avec d’autres acteurs régulés, peut vite devenir problématique dans l’univers crypto. En effet, une erreur dans l’adresse vers laquelle sont envoyés des bitcoins, et les bitcoins sont définitivement perdus! Sans recours possible. Un problème rencontré en traitant “avec” une DAO? Bonne chance! La notion même d’organisation autonome fait l’objet de recherches théoriques dans le domaine juridique. La gestion du conflit risque donc d’être haute en couleurs.

Pour ces différentes raisons, les Investisseurs (institutionnels) sont enclins à payer des frais élevés et des primes parfois folles (cf. le fonds Grayscale), pour qu’un tiers gère l’opérationnel et prenne la responsabilité à leur place. Quoi qu’il en soit, leurs systèmes d’information ne leurs permettraient pas de faire l’investissement directement, même s’ils le souhaitaient. Nul doute que le jour où les Investisseurs institutionnels décideront vraiment de faire leur entrée dans l’univers crypto, ils investiront massivement dans les infrastructures nécessaires pour mener à bien les opérations eux mêmes. On observe à ce sujet beaucoup d’agitation, mais relativement peut de mouvements stratégiques. A surveiller.

#6. Risque concurrentiel

Il y a un dicton marin qui dit: “Quand la mer baisse, les rochers montent”. Le succès récent du bitcoin, a d’abord et avant tout été rendu possible par l’érosion de la confiance dans les monnaies fiduciaires. Bitcoin est d’une certaine manière, la réponse du berger à la bergère. Le “Hard Tightening” face au “Quantitative Easing”. Si d’aventure les monnaies fiduciaires devaient regagner la confiance des “peuples”, si comme l’appelle de ses voeux K. Georgieva, la Directrice Générale du FMI (i.e., Fonds Monétaire International), nous avions un nouveau “Bretton Woods Moment”, c.-à-d. que nous profitions de la crise actuelle pour poser les bases d’un nouvel ordre monétaire, plus sain, la balance bénéfice-risque du bitcoin ne serait plus tout à fait la même. Ce scénario est cependant très peu probable à ce stade.

Enfin, de la même manière que ce n’est pas le 1er à marcher dans une direction, mais le premier à le suivre qui crée le mouvement, il est fréquent de voir l’uns des 1ers suiveurs sur un marché supplanter celui qui a ouvert la voie (l’exemple des moteurs de recherche sur Internet est éloquent). Se pourrait-il que l’arrivée des “smart contracts” sur le réseau Bitcoin mette en exergue ses faiblesses structurelles et lui fasse perdre son charme suranné, au profit d’Ethereum par exemple (en faisant bien sûr l’hypothèse que le passage au Proof-of-Stake se fasse sans heurts)? La “narrative” de l’internet décentralisé est également puissante. Ou qu’une nouvelle technologie s’impose à tous comme une évidence? L’avenir nous le dira. Si ce risque semble être très limité aujourd’hui, l’Histoire nous invite, cette fois encore, à faire preuve de prudence.

“REFLECHIS AVEC LENTEUR, MAIS EXECUTE RAPIDEMENT TES DECISIONS” ISOCRATE

Pour conclure, nous avons vu dans la 1ère partie de cet article que le profil rendement/risque historique du bitcoin était hors-norme. Rien de bien surprenant compte tenu du fait que c’est précisément la raison pour laquelle tout le monde s’intéresse au bitcoin aujourd’hui. Plus intéressant, nous avons pu montrer que le bitcoin présentait d’avantage le profil d’un supplément, c.-à-d., d’un actif que l’on met en marge de son portefeuille, pour doper sa performance globale (i.e., “Return Enhancer”), que d’un complément, c.-à-d. d’un actif que l’on intègre dans son portefeuille, pour en réduire la volatilité (i.e., “Risk Reducer”). Enfin, si le passé devait se répéter, l’allocation optimale au bitcoin serait de 10% pour les plus audacieux (1.45% pour qui voudrait s’y exposer sans modifier de façon significative le comportement de son portefeuille). Mais le futur restant entièrement à configurer dans l’univers crypto, difficile de faire l’hypothèse de stationnarité et d’utiliser le passé comme guide. Nous avons donc proposé dans la 2ème partie de cet article un modèle multi-agents, dans le but d’analyser les conséquences que pourraient avoir l’arrivée des Investisseurs institutionnels sur le potentiel de gain, ainsi que sur le profil de risque et les propriétés de diversification du bitcoin. Il semblerait que le scénario le plus probable soit celui d’une poursuite de la tendance haussière sur le prix, et de la tendance baissière sur la volatilité. Mais le prix à payer pour cela sera probablement une augmentation de la volatilité de la volatilité, et surtout, de la corrélation conditionnelle du bitcoin avec les actifs traditionnels. Nous avons conclu cette 2ème partie sur l’idée que le bitcoin devait être considéré comme une option digitale, qui délivrera une performance exceptionnelle en cas d’effondrement de notre système monétaire, mais qui pourrait valoir 0 dans un certain nombre d’autres cas. Comme souvent avec les options, la valeur temps joue un rôle important. Il est donc important que les Investisseurs institutionnels étudient sérieusement le sujet, et se positionnent au plus vite. La 3ème et dernière partie de cet article a été l’occasion de réaliser une analyse pré-mortem, pour identifier les risques auxquels est exposé le bitcoin à court-/moyen-/long-terme. L’objectif de cette dernière partie était de permettre à chacun de se faire une idée de la nature des risques avec lesquels il faudra pouvoir composer sur le court-/moyen-/long-terme si l’on peut/souhaite investir dans bitcoin. Cela nous aura permis de boucler la boucle et de mettre en évidence un point essentiel pour lequel bitcoin ne fait pas exception : Risque et Opportunités sont les deux côtés d’une même pièce.

Alors, êtes vous prêt(e) à faire le grand saut?

Pilule rouge ou pilule bleue?

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Mathieu Vaissié, PhD, CAIA
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